Le LAB Rennes Saint-Malo permet aux entreprises qui ont un impact positif sur la société de tester leur innovation en conditions réelles. Le dispositif aide les entrepreneurs et/ou dirigeants à organiser l’étape de « l’expérimentation », ce moment clé, avant la commercialisation, où la solution est confrontée pour la première fois à son public.
Retour sur l’expérimentation d’AgWI, une entreprise malouine qui développe des fertilisants agro écologiques à destination des agriculteurs, des collectivités (terrains de sport et parcs) et du marché grand public (jardins et potagers), avec Matthieu Beziat, Président d’AgWI et Christophe Soulies, responsable des moyens généraux au sein de la Direction des Jardins et de la Biodiversité de la Ville de Rennes.
Durée de l’expérimentation : 12 mois Lieu de l’expérimentation : six terrains de sport municipaux à Rennes Zoom sur le fertilisant d’AgWI: Avant toute chose, saviez-vous que le phosphore généralement utilisé pour la fertilisation des sols provient du Nord de l’Afrique ? C’est une ressource non renouvelable qui contient un métal lourd, le cadmium, présentant des risques pour la santé humaine. AgWI a décidé de développer un fertilisant fabriqué à partir de phosphore recyclé, issu d’eaux de lavage d’industrie alimentaire, et d’autres éléments nutritifs. Leur produit, AgWI P, remplace tout ou une partie du phosphore conventionnel. |
Quels étaient les enjeux de cette expérimentation pour AgWI ?
Matthieu Beziat, AgWI : Il y avait plusieurs objectifs pour AgWI : nous souhaitions tester l’efficacité de la solution pour l’enracinement et la tenue des pelouses de terrain de sport mais aussi vérifier la praticité d’usage de l’engrais sous sa forme micro-granulés.
Normalement les micro granules permettent :
- Une meilleure homogénéité d’application du produit sur le terrain ;
- Une utilisation en ultra-localisation (engrais en contact avec la graine), ce qui augmentera la biodisponibilité du phosphore et des autres éléments nutritifs ;
- Un effet « starter » sur la culture afin de développer plus rapidement le système racinaire de la plantule ;
- Une meilleure efficacité de la nutrition, grâce à des formules adaptées aux besoins des cultures.
Nous devions valider si nous avions vu juste.
Pourquoi avoir mis en place cette expérimentation avec la ville de Rennes ?
Matthieu Beziat, AgWI : L’objectif d’AgWI est de proposer une solution de fertilisation alternative aux engrais de synthèse. Le phosphore recyclé que nous utilisons permet non seulement de diminuer l’utilisation des ressources non renouvelables, mais aussi l’empreinte carbone (diminution des km parcourus par la matière première) et les risques pour la santé humaine (il ne contient pas de cadmium).
Or pour comprendre le contexte de l’expérimentation, il faut préciser que la loi Labbé, qui vise l’interdiction de produits phytosanitaires pour des terrains non agricoles, est en phase d’être étendue pour les engrais de synthèse. Les collectivités sont donc à la recherche d’alternatives aux engrais de synthèse, qui seront bientôt interdits. Notons que la ville de Rennes consomme chaque année 11 tonnes d’engrais de synthèse. En extrapolant, cela représente un potentiel de 300 tonnes sur les 10 plus grandes villes de France.
Christophe Soulies, ville de Rennes : Nous avons donc décidé de mettre en place des essais sur des terrains de sport de de la ville de Rennes, pour vérifier si le concept de fertilisant à base de matière première recyclée répondait à un besoin des collectivités.
Matthieu Beziat, AgWI : Pour cela, nous avions besoin de comprendre la chaîne décisionnelle conduisant à l’adoption de ce type de solution et ensuite voir comment l’adapter pour les collectivités : quel mode d’emploi ? Quel packaging ? Quelle argumentation marketing ?
Quelles ont été les différentes étapes de l’expérimentation ?
Matthieu Beziat, AgWI : La 1ère phase de l’expérimentation a consisté en une série d’entretiens avec les services « espaces verts » de la métropole, pour comprendre leurs pratiques et pouvoir ainsi rédiger le protocole. C’est lors de cette étape que nous avons choisi de nous concentrer sur les terrains de sport.
La Ville de Rennes a ensuite analysé les sols en question pour que nous puissions faire une recommandation de fertilisation. Après la livraison, nous avons ensemble procédé à l’étalonnage et à l’application pour après faire un suivi visuel régulier : plus de 200 relevés techniques ont été effectués, plus de 20 suivis terrains effectués.
Christophe Soulies, ville de Rennes : Pour avoir une meilleure visibilité sur l’impact du fertilisant sur les terrains de sport, nous avons découpé chaque terrain de sport en deux : l’une moitié recevait la fertilisation habituelle, l’autre moitié, la fertilisation recommandée par AgWI. Les doses ont été définies après réception des résultats des analyses de sol.
Que vous a révélé l’expérimentation sur la solution et les utilisateurs ?
Matthieu Beziat, AgWI : L’expérimentation a tout d’abord confirmé que notre solution fonctionne pour l’enracinement et la tenue des pelouses : elle gagne à être appliquée au démarrage des cultures pour accélérer leur implantation face aux mauvaises herbes et limiter l’impact du manque d’eau.
Nous nous sommes rendus compte de l’action de notre fertilisant en comparant les parcelles sur un même terrain suivant les deux modalités (avec ou sans AgWI P), bien que le suivi sur le long terme n’ait pas été évident car les parcelles étaient tondues et fertilisées continuellement (pour répondre aux besoins des usagers).
Visuellement, avec AgWI P, on a remarqué que le gazon résistait mieux à la sécheresse, et était plus dense et homogène.
Christophe Soulies, ville de Rennes : En effet, dans les conditions d’expérimentation sur les terrains sportifs gazonnés de la Ville de Rennes, nous avons constaté que le produit AgWI P a eu un effet « booster » au démarrage du semis. Ceci entraînant une croissance plus rapide, et une couverture végétale plus efficace limitant le développement d’adventices.
Par la suite, nous avons pu constater sur les planches d’expérimentation et les mesures faites que le gazon avait une meilleure résistance à la sécheresse.
Lors de l’essai, le terrain de baseball a fait l’objet de retour positif quant à son rendu. La solution AgWI ayant participé à l’entretien durant cette période, il est donc probable qu’un effet positif de cette solution ait été constaté.
Matthieu Beziat, AgWI : L’expérimentation a aussi validé la bonne stabilité du produit après un an de stockage sur palette et la praticité d’application de l’engrais sous sa formulation de microgranulé. On a d’ailleurs noté l’importance d’avoir un équipement adapté aux collectivités pour utiliser ce type de fertilisant.
Autre bonne nouvelle, l’expérience a confirmé l’appétence des collectivités pour les produits durables et à impact environnemental positif.
Nous avons toutefois noté :
- qu’il y avait un réel besoin d’accompagnement des collectivités par des professionnels de la fertilisation, pour faire les recommandations adaptées à chaque parcelle (type de produit, dose, époque d’application)
- que chaque collectivité avait ses propres pratiques de fertilisation, donc la duplication des résultats obtenus sur les terrains de la Ville de Rennes nécessitera un gros investissement commercial. Selon la taille du marché, l’embauche d’une personne dédiée pourra être nécessaire.
Et maintenant, que va-t-il se passer concrètement ?
Christophe Soulies, ville de Rennes : Une première commande de la Ville de Rennes est en cours, pour appliquer AgWI P lors des opérations de semis (regarnissage ou réfection totale). Nous avons apprécié cette solution car elle est locale, valorise le recyclage et s’adapte aux typologies de terrains. Nous envisageons de la tester sur la durée.
Matthieu Beziat, AgWI : Si on zoome sur les retombées économiques, c’est très positif : nous avons embauché une personne au cours de l’expérimentation et nous prévoyons à l’horizon 2027 de créer 8 emplois dont 3 commerciaux. Nous pensons réaliser un CA de 120 000€ avec la vente de notre solution auprès des dix principales collectivités en France.
Et parce que l’équipe s’agrandit, nous venons de prendre la décision de déménager.
L’autorisation de la mise sur le marché a été obtenue en mai !
L’expérimentation a-t-elle correspondu à vos attentes ?
Christophe Soulies, ville de Rennes : Nous avons eu de très bons échanges tout au long de l’expérimentation. Nous avons non seulement assisté à l’efficacité de la solution, mais nous savons à quel moment la solution doit intervenir pour avoir un impact. Nous voyons un intérêt de prolonger les essais et nous avons trouvé très intéressant d’accompagner une démarche !
Matthieu Beziat, AgWI : L’équipe de la Ville de Rennes s’est montrée très disponible, flexible et intéressée pendant toute la durée de l’expérimentation. Grâce à son appui, nous avons pu adapter le protocole au fur et à mesure de l’expérimentation, et avons pu finalement la mettre en place sur 6 terrains, au lieu des 2 initialement prévus !